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Fecha: 07-02-2005 07:13 am
Bérengère Rouard et Thibaud de Courrèges travaillent chez Cinélume en tant qu’adaptateur cinématographique depuis plus de sept ans. Ils ont gentiment accepté de répondre à nos questions.
par Amélie Giguère-Morin
Quel a été votre cheminement personnel et scolaire pour devenir adaptateurs cinématographiques?
Nous n’avons pas réellement suivi de formation dans le domaine. C’est vraiment arrivé par hasard! Nous habitions en France, mais nous avons déménagé au Québec parce que Bérengère venait y faire une maîtrise en traduction littéraire. Ici, nous avons rencontré quelqu’un qui travaillait chez Cinélume, et cette personne nous a offert un emploi! Avant d’arriver ici, nous n’étions même pas au courant que ce boulot existait au Québec. Nous étions très inquiets lorsque nous avons traduit notre premier film, parce que nous n’avions aucune idée de l’histoire. Encore aujourd’hui, nous ne savons jamais à quoi nous attendre, mais nous avons pris l’habitude!
Nommez quelques films que vous avez traduits. Lequel a été votre plus beau défi?
Nous avons traduit Moulin Rouge, Vanity Fair, les Austin Powers, les nouveaux épisodes de Star Wars. En ce moment, nous travaillons sur Finding Neverland… Nous faisons aussi beaucoup de petits films pour la télévision et de films indépendants. Ce sont vraiment de jolis projets, aussi agréables à traduire que les longs métrages américains. Il nous arrive même de devoir traduire des films à partir de langues que nous ne connaissons pas! Il faut se fier aux sous-titres ou sinon, recréer complètement les dialogues! Ça laisse place à beaucoup de créativité.
Notre plus beau défi, c’est sans contredit la trilogie de Austin Powers. C’était l’enfer! Tous ont été cauchemardesques : ils étaient truffés de jeux de mots et d’images suggestives, et en plus, il fallait respecter le mouvement des lèvres! Dans Austin Powers 3, nous avons particulièrement eu de la difficulté à écrire les sous-titres dans la scène ou les personnages parlent en japonais…
D’après vous, est-ce que c’est le sens qui prime ou le respect du mouvement des lèvres?
La bouche avant tout. Si les gens s’arrêtent à regarder le mouvement des lèvres et qu’ils se rendent compte que ça ne concorde pas avec le texte, c’est foutu, on vient de les perdre. Il faut surtout être fidèle aux labiales en début et en fin de phrase, parce que ce sont elles qui se feront le plus remarquer. L’idéal, c’est que le public ne se rende pas compte qu’il s’agit d’un doublage. C’est pourquoi il nous arrive de prendre beaucoup de liberté, et même de tricher. Mais on essaye toujours de rendre l’idée au maximum.
Quel genre de films préférez-vous traduire?
Chaque film est complètement différent, ce qui fait qu’on ne s’ennuie jamais. Les films comiques restent tout de même ceux qui donnent le plus de fil à retorde au traducteur. Ça prend beaucoup de temps et de travail, mais nous aimons ça! Lorsqu’on fait de belles trouvailles, c’est vraiment payant : nous en sommes fiers et nous nous faisons parfois féliciter!
Les films d’époque sont aussi agréables à traduire parce qu’ils nous permettent d’utiliser toute la richesse de la langue. Au contraire, les films modernes nous limitent souvent, parce qu’il faut alors utiliser un langage argotique.
Quant aux films d’horreur et d’action, ce sont les plus faciles! Il n’y a presque pas de dialogue, donc ce sont aussi les plus payants. Mais nous, nous en faisons rarement. Le dernier que nous avons fait, c’était le Punisher… C’est surtout le studio Technicolor qui s’occupe de ce genre de film.
Combien de temps vous est alloué en moyenne pour traduire un film?
C’est de plus en plus court… Environ une semaine, si on a de la chance! Pour un film normal, ça prend environ 5 jours, mais si on prend par exemple Vanity Fair, qui dure deux heures et demie, nous avons eu droit à un peu plus d’une semaine.
Est-ce suffisant, ou devez-vous souvent vous presser pour terminer un contrat?
C’est trop court et nous sommes très pressés. Il faut être prêt à passer des heures sur un film, sept jours sur sept. Il ne faut vraiment pas compter le temps.
Est-ce un métier bien payé, comparativement aux autres domaines de la traduction?
Oui, c’est bien payé, mais le travail est énorme! Nous travaillons vraiment pour notre argent. C’est mieux payé que la traduction écrite ordinaire, mais les deux domaines n’ont rien à voir. L’adaptation cinématographique, c’est un métier à part. En effet, il y a beaucoup plus de contraintes. Par exemple, il faut prendre en compte les mouvements de la bouche, ce qui fait qu’une même phrase sera rendue très différemment selon le cas. Il n’y a donc rien de réutilisable, aucune recette miracle. Dans chaque cas, il faut faire preuve d’imagination et récrire! De plus, l’adaptateur cinématographique sera souvent amené à créer : il devrait récrire des poèmes, des chansons, des blagues! C’est souvent très compliqué.
Est-ce un emploi stable?
Plus ou moins. Le nombre d’adaptateurs joue beaucoup sur la charge de travail. Il y a parfois des périodes creuses où tout le monde se rue sur les quelques contrats offerts. Nous pouvons être des semaines, voire des mois sans travailler. Dans ce temps-là, on attend à côté du téléphone et on angoisse! L’année 2001 a été particulièrement difficile : après les attentats du 11 septembre, la production de films avait beaucoup diminué aux États-Unis. Heureusement, cette année, nous avons une très bonne année. Nous avons beaucoup de travail.
Quelles sont, selon vous, les qualités d’un bon traducteur cinématographique?
Avant tout, il faut avoir beaucoup d’imagination. Il faut aussi être capable de tourner une phrase dans tous les sens pour réussir à la faire concorder avec le mouvement des lèvres. En fait, ce n’est pas de la traduction, c’est de l’adaptation, ce qui veut dire qu’un excellent traducteur ne sera pas nécessairement capable d’adapter un film. D’ailleurs, beaucoup ont essayé, mais se sont vite rendu compte que c’était trop difficile et que ce n’était pas pour eux. D’autres qualités… Il faut être capable de bien comprendre l’anglais, parce qu’on ne nous fournit pas toujours le script du film. Finalement, il faut évidemment être bon en français.
Certains traducteurs cinématographiques sont également directeurs de plateau. Que pensez-vous de cette pratique?
C’est très répandu, mais c’est plus ou moins une bonne chose. Oui, de cette manière, l’adaptateur peut transmettre aux comédiens sa vision du texte et sa façon de le sentir, sans qu’un directeur de plateau externe vienne mettre sa patte dans le travail. Par contre, il s’agit là de deux métiers très différents, et ce n’est pas donné à tout le monde d’être bon dans les deux. La situation devient d’autant plus problématique lorsqu’une même personne est à la fois adaptatrice, comédienne et directrice de plateau! Le projet est alors dirigé par une seule personne, donc une seule vision. Et disons qu’avec les comédiens, on a affaire à des gens qui ont un ego assez prononcé et qui aiment se mettre au premier plan!
Croyez-vous que le Québec devrait avoir des traductions distinctes de celles faites en France?
Absolument. Les Français traduisent en argot parisien, et même en tant que Français, nous avons entendu des choses que nous n’arrivions même pas à comprendre! Prenons par exemple le film Shrek. Nous avons trouvé très dommage qu’il ne soit pas traduit au Québec, parce qu’il y avait plein d’expressions que les enfants d’ici n’arrivaient pas à comprendre. Nous, les adultes, nous comprenons l’argot français, mais nous ne l’utilisons pas. Il faudrait absolument faire quelque chose pour que tous les films soient doublés ici, comme passer une loi. Malheureusement, pour que ce soit possible, il faudrait avoir l’appui politique, ce qui n’est pas le cas.
Comment qualifiez-vous la situation de la traduction cinématographique au Québec?
Comme nous l’avons dit, 2004 est une bonne année. Nous sommes toujours en train de travailler sur un film. Par contre, on ne sait pas ce qui va se passer demain. C’est une vraie montagne russe! Nous sommes à la merci des producteurs américains, qui considèrent trop souvent que le Québec n’a aucun poids. Par contre, l’Union des artistes a commencé à faire des pressions, et il semble y avoir des répercussions.
De plus, c’est toujours la guerre avec la France, pas seulement en ce qui concerne les films, mais aussi les séries et les dessins animés. La France a commencé à faire baisser les prix de ses traductions, ce qui nous a fait perdre beaucoup de contrats. C’est très frustrant, surtout quand on pense aux séries produites au Canada et financées par notre argent, mais doublées en France!
Pour refuser les traductions faites au Québec, certains avancent qu’elles ne sont pas bonnes. C’est faux! Même la France fait parfois traduire les textes ici pour ensuite les faire doubler chez elle! Il y a donc bel et bien un moyen de contourner leur fameux décret…
D’après vous, s’agit-il d’un domaine fermé?
En France, c’est un domaine très fermé : les traducteurs ont des droits d’auteur, alors c’est vraiment payant, et ceux déjà en place veulent garder le magot pour eux! Au Québec, c’est un peu plus ouvert, mais nous sommes beaucoup moins reconnus. On commence à peine à voir nos noms apparaître au générique! Il ne faut donc pas faire ce métier pour la reconnaissance. Pour entrer dans domaine, il suffit en fait d’arriver au bon moment, comme nous l’avons fait nous-mêmes il y sept ans.
En terminant, quels conseils donneriez-vous à ceux qui désirent se diriger en traduction cinématographique?
Tout d’abord, être bien armé et ne pas se laisser décourager. C’est un métier très dur, où personne ne fait de cadeau et où il y a beaucoup de compétition. La critique est également très présente; il faut être prêt à l’accepter même si elle n’est pas toujours objective.
Au niveau du travail lui-même, il n’y a pas vraiment de truc : on l’a ou on l’a pas! C’est très personnel comme travail et chacun a sa propre façon de travailler. Nous avons entendu parler d’un programme de traduction cinématographique qui se donne au Conservatoire, mais nous nous demandons toujours qu’est-ce qu’on y enseigne! D’après nous, ça ne s’enseigne pas, ça s’apprend sur le tas. Un cours sur le côté technique de la chose peut être pertinent, mais c’est tout.
Finalement, comme nous l’avons dit, il faut arriver au bon moment. Allez porter votre CV à un studio de doublage lorsque la demande est forte (comme cette année) et on vous donnera sans doute votre chance. Si vous faites du bon travail et respectez les délais, vous vous ferez probablement rappeler!
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