Prologue - Arrivée - Cusco - Machu Picchu - Lac Titicaca - La Paz, Sucre - Potosí et ses mines - Salar d'Uyuni - Lima - Epilogue
Nous nous levons de bonne heure pour retourner à l'aéroport de Lima et prendre un avion à destination de Cuzco, où nous arrivons vers sept heures et demi. L'aéroport est tout petit, un groupe de péruviens accueille les voyageurs en entonnant des chants aux accents andins. Il fait froid dehors, nous sommes à près de trois mille quatre cent mètres d'altitude. Mais le soleil brille et le ciel est d'un bleu azur. L'ambiance est calme, presque villageoise, on se sent tout de suite bien à Cuzco, la capitale historique du Pérou, comme il est écrit sur une bannière à l'intérieur de l'aéroport. Le voyage semble enfin commencer.
La ville de Cuzco qui compte environ trois cent mille habitants, est en elle-même un enchantement. Comme partout au Pérou, elle s'organise autour d'une place centrale, la Plaza de Armas. Celle de Cuzco est très belle, propre, bordée de jardins et de petits bancs joliment peins. En son centre, une belle fontaine. Tout autour s'étalent des bâtiments dans le style colonial espagnol avec des balcons en bois sombre. Une pure merveille que cette grande place. Toutes les rues autour de la place, mais également dans l'ensemble du centre-ville, sont pavées, ce qui confère à Cuzco un cachet d'authentisme supplémentaire.
D'après la légende, la ville de "Qosq'o", qui signifie "nombril du monde" en quechua, aurait été fondée au XIIème siècle par le premier Inca, Manco Capac, et elle aurait ensuite occupé la prestigieuse fonction de capitale de l'Empire inca, jusqu'à la chute de celui-ci au XVIème siècle avec l'arrivée des Espagnols. Encore aujourd'hui la ville conserve les traces de ce riche passé, certaines maisons de type espagnol sont bâties sur des fondations incas, hauts murs de pierre solides dont les énormes blocs emboîtés à la perfection et sans mortier, ont résisté au temps et aux tremblements de terre. Mais les restes de l'Empire du soleil, les traces les plus vivantes, les plus concrètes et les plus belles qu'il nous a léguées, ne se trouvent pas dans la pierre, mais dans le peuple lui-même. Les indiens quechuas, descendants directs des Incas nous montrent à travers leurs traits et leur mode de vie que le peuple inca n'a pas disparu du jour au lendemain et qu'encore aujourd'hui il reste présent.
De nombreux enfants s'approchent des touristes pour leur vendre des cartes postales qu'ils gardent soigneusement rangées dans des petites boîtes en carton. Comme cela est tout nouveau pour moi, je me laisse prendre au jeu et j'en achète quelques unes. Mais il faut négocier avec ces chenapans. Ils proposent d'abord au touriste six cartes pour douze soles, soit environ quatre francs l'unité. Même si les cartes sont belles je ne suis pas prêt à payer ce prix. Après un petit marchandage, j'en achète cinq pour six soles, tout de même plus honnête. Il faut vite mettre un frein au porte-monnaie face à tant de sollicitations, et je me contente alors de discuter un peu avec les gamins ou de leur offrir quelques crayons de couleur que j'ai emmenés spécialement pour eux.
En se promenant dans Cuzco, en flânant entre ses murs pleins d'histoire, l'enchantement continue. Un peu partout dans la ville, des paysannes quechuas se promènent, certaines avec un lama au bout d'une corde. Les petites écolières dans leur bel uniforme déambulent sous les arcades de la Plaza de Armas et dans les petites ruelles pavées. Chaque école possède son propre uniforme et les garçons ne portent pas les mêmes costumes que les filles. Le soleil réchauffe la vallée, la température devient douce et agréable.
On comprend très vite que le Pérou n'est pas un pays riche, ou pour être plus exact que beaucoup de ses habitants vivent dans la pauvreté. Il suffit de voir les gamins vendre des cartes postales ou vous proposer de vous cirer les chaussures pour s'en apercevoir. Mais pourtant, je ne dirais pas que Cuzco soit une ville pauvre car le tourisme lui assure des revenus suffisants pour rester en bonne forme, accueillante, belle et propre. Même s'il existe des quartiers populaires dans les hauteurs de la ville, on ne trouve pas à Cuzco de bidon-villes insalubres et glauques comme c'est le cas à Lima, la capitale. Le centre-ville de Cuzco est sûr, on peut s'y promener seul en toute tranquillité, et jamais durant les quatre jours que nous y avons passés je n'ai ressenti de l'insécurité, même la nuit. Je ne pourrais pas en dire autant de Strasbourg.
En toute simplicité, cette ville me plaît. Elle est pleine de vie, de fête et de musique, mais elle est à la fois calme et dépouillée de tout artifice superflu, une ville comme je les aime. On est loin du bruit et de l'activité trépidante de la grosse ville, Cuzco, c'est la petite ville moyenne de province, épargnée par le trafic automobile, les nuisances sonores, la pollution et la violence.
Le soir, la ville déborde d'animation, de lumière et de musique. La place centrale est envahie par les passants, des couples, des jeunes, des vieux. Tout le monde peut vivre sa nuit à Cuzco, que ce soit dans un restaurant "branché", une petite peña typique, une boîte de nuit, un bar sympa. Chacun trouvera ce qu'il veut, ce qu'il recherche. Et des belles filles bien-sûr, aux longues jambes, aux cheveux longs et aux grands yeux noirs. Mais comble de malheur, elles sont le plus souvent déjà accompagnées. Mais cela n'empêche pas certaines de lancer des regards charmeurs au grand blond que je suis. Si j'étais seul et sans le groupe, je crois que j'aurais exploré plus en avant cette charmante facette de Cuzco. Mais il faut se coucher tôt, demain nous avons une longue journée.
Avant de dormir, il faut manger. Je vous recommande comme apéritif, le "Pisco sour". Le Pisco tout court, eau de vie nationale, c'est de l'alcool de raisin blanc, sucré, et qui va chercher dans les quarante, quarante-cinq degrés. Le Pisco sour, c'est un mélange de Pisco et de jus de citron, et par-dessus on rajoute du blanc d'oeuf. Quand il est bien tassé, qu'on sent l'alcool et qu'il n'a pas le goût du sirop, c'est un régal. Qui monte assez vite à la tête d'ailleurs, surtout si on le prend à jeun !
Nous partons tôt le matin en mini-bus pour aller visiter la campagne environnante de Cuzco. Notre première étape a pour nom Moray. Comme je ne suis pas trop doué pour la description des vestiges historiques, je cède la place à mon guide Lonely Planet. "Les terrasses de Moray sont fascinantes : construites sur différents niveaux, elles occupent une vaste cuvette, en partie naturelle, et en partie creusée par les Incas. En fonction de leur orientation, elles jouissent de microclimats différents ; on pense donc qu'elles ont permis aux Incas de déterminer les conditions optimales pour leurs cultures. Il existe deux grandes cuvettes et une plus petite. Des travaux de restauration ont été entamés en 1994, et un petit musée doit ouvrir sur le site."
Effectivement, dans la cuvette principale, des ouvriers travaillaient en contrebas. Les terrasses sont de forme circulaire, celles du centre situées au fond de la cuvette étaient déjà restaurées, et les ouvriers s'affairaient sur les parties supérieures. Comme de nombreux autres vestiges de l'époque inca ou préincaïque que l'on trouve au Pérou, l'entrée du site de Moray est payante, celui-ci est géré par l'Etat et on peut donc considérer le tourisme comme un outil de préservation des sites historiques du Pérou. Mais la médaille a son revers, le tourisme de masse contribue dans certains cas comme au Machu Picchu par exemple, à dégrader les sites.
Après Moray, nous avons visité des salines, quelques kilomètres plus loin. "Des centaines de puits servent depuis l'époque inca à l'extraction du sel. Une source chaude située au sommet de la vallée déverse un petit cours d'eau chargé en sel ; dévié vers les puits, celui-ci permet de récolter, après évaporation, des salants pour le bétail." Le site est géré par une coopérative constituée par les ouvriers travaillant dans les salines. Le principe de la coopérative est très simple. Celle-ci ne fonctionne pas selon le critère de l'apport en capital, comme c'est le cas pour une société, mais le bénéfice est réparti en fonction du travail effectué, et non du capital investi. En outre, chaque participant dispose d'une seule et unique voix dans le processus de décision. Concrètement, c'est la communauté villageoise qui gère son gagne-pain, sans dépendre d'intérêts étrangers. Nous allons retrouver ce système dans le cas de certaines mines de Potosí, en Bolivie.
Des salines, que nous avons traversées à pied, sur un petit chemin au milieu des bacs de sel, nous sommes descendus dans la fertile vallée d'Urubamba, située en-dessous des trois mille mètres d'altitude. Dans la ville qui porte le même nom, nous avons fait une halte pour déjeuner dans une petite gargotte conseillée par notre chauffeur. Celui qui ramène un groupe dans un restaurant mange à l'oeil, ainsi en fut-il d'Abel, notre chauffeur, et ainsi en fut-il toujours de notre guide Martine. Tout le monde a commandé un poulet frites, afin de raccourcir au maximum la préparation du repas. Après avoir attendu longtemps, nous avons été servis. Et quel plat ! Artistiquement horrible, mais gustativement savoureux. Le plat se composait de trois couches bien distinctes : en bas, trois énormes pommes de terre grises, mais vraiment énormes. Dessus, un coquelet entier bien dodu. Et par-dessus, des tranches de bananes grillées. Avec près de vingt-cinq centimètres de hauteur, on aurait dit un croiseur intergalactique alien, mais c'était plutôt bon !
Après avoir exterminé quelques uns de ces aliens, près de la moitié d'entre eux ayant survécu, nous avons repris notre petit car, direction le village de Ollantaytambo, sur une belle route goudronnée. Comme dans l'ensemble du pays, la campagne n'est pas riche, mais autour de la région touristique de Cuzco, elle échappe à la grande pauvreté : asphalte sur les routes et lignes électriques sont des signes qui ne trompent pas. Cela peut paraître évident pour l'"homme occidental", mais pour le monde rural c'est un luxe, s'ensuit ainsi la distinction entre pauvre et extrêmement pauvre. Ce dernier n'a pas les moyens de survenir à ses besoins primaires que sont le logement et l'alimentation.
Le petit village d'Ollantaytambo, même s'il regorge de touristes, n'est pas en lui-même une attraction de premier plan. Ce que les gringos (terme générique pour désigner un étranger blanc et plus spécialement un Nord-américain) viennent voir, c'est la forteresse du même nom, juchée sur un flanc de montagne avoisinant. Celle-ci constitue une des attractions majeures des environs de Cuzco et elle se visite avec le Boleto Turístico, un petit carton au prix de vingt dollars pour avoir le droit de visiter dix-huit sites dans la ville de Cuzco et ses alentours, musées, églises et lieux archéologiques. Mais l'étudiant que je suis n'avait pas oublié sa carte, et il ne l'a donc payé que dix dollars. C'est la que j'ai compris qu'arrêter l'école à seize ans aurait constitué une grave erreur... Comme disent toujours les parents, qu'elle est belle la vie d'étudiant !
Pour vous représenter la forteresse d'Ollantaytambo, imaginez des longues terrasses, chacune haute de près de deux mètres, accrochées sur une montagne au-dessus du village. Un long escalier de pierres permet d'atteindre le sommet de la forteresse duquel on peut admirer toute la ville d'Ollantaytambo et la vallée environnante. La forteresse servit de refuge à Manco Inca au début du XVIème siècle quand celui-ci fut poursuivi par le conquistador espagnol Pizarro et ses hommes. L'Inca, en inondant la plaine grâce à un système de canalisations spécialement prévu pour cela, réussit à se débarrasser des envahisseurs. Mais ceux-ci revinrent très rapidement, et en nombre plus important, ce qui contraignit Manco Inca à abandonner Ollantaytambo.
Le plus impressionnant est de voir ces énormes blocs de plusieurs dizaines de tonnes parfaitement imbriqués les uns dans les autres. Impossible d'y introduire une lame de couteau, la structure d'ensemble est parfaite. Même la mousse n'arrive pas à s'introduire entre les pierres. Pour édifier la forteresse, les Incas se sont servis de la roche dans la vallée, en contrebas de la montagne, et grâce à des milliers d'ouvriers-esclaves indiens, les pierres furent déposées dans le fleuve Urubamba. Ce dernier fut ensuite détourné pour acheminer les pierres au pied de la montagne. Très ingénieux certes, mais j'aimerais bien savoir comment les Incas s'y sont pris pour monter les pierres jusqu'au sommet de la forteresse.
Après cette journée bien remplie, Abel nous a ramené à Cuzco, à notre hôtel le Waynapata, ce qui dans la langue quechua signifie "jeune fille". Même après cinq nuits dans cet hôtel, je suis incapable de vous dire pourquoi il s'appelle comme cela. La tenancière de l'hôtel a en effet plus les airs d'une mama italienne, nourrie aux pâtes aux oeufs et au lard, que d'une jeune fille.
Déjà deux jours passés au Pérou, et si je devais trouver un adjectif pour désigner les Péruviens en général, d'après ce dont j'ai pu me rendre compte, avec les gens dans la rue, les musées, les vendeurs, les gamins, les chauffeurs, les garçons d'hôtel, ce serait "ouvert". Tous m'ont paru accueillants, chaleureux et prêts à engager la conversation. Il est certain que beaucoup font leur business, le vendeur a intérêt à être aimable avec le touriste s'il veut gagner sa croûte. Mais c'est bien plus que cela, je les sens sincères, ils ne se forcent pas. Il y a en eux une réelle chaleur que l'on ne ressent plus chez nous, ou plus rarement, dans nos pays "développés".
Avant de nous coucher, nous admirons la ville de Cuzco, sur une terrasse située sur les hauteurs de la ville. Des milliers de lumières étincelantes, des musiques qui bourdonnent et vous chatouillent les oreilles, une odeur générale étrange, inconnue mais enivrante, c'est Cuzco.
Nous avons pu passer cette belle matinée ensoleillée du quatorze juillet à flâner librement dans la ville de Cuzco. Pour commencer, je visite avec mes deux compagnes de chambre (pour couper court à votre imagination, sachez que les deux avaient autour de cinquante ans) le magnifique hôtel Monasterio. Celui-ci est établi à l'intérieur d'une ancienne maison coloniale et s'articule autour d'un ravissant patio central verdoyant et bien entretenu. Il appartient à la chaîne nord-américaine Orient-Express Hotels. Le site construit en 1592 a été converti en hôtel quatre siècles plus tard, en 1995. L'hôtel possède même sa propre chapelle, décorée dans un style baroque des plus clinquants. Nous discutons avec un garçon d'étage qui nous a permis d'entrer dans la chambre qu'il nettoyait. La pièce n'est pas grande mais tout de même assez luxueuse pour justifier les cent vingt dollars pour une nuit. Le groom, comme beaucoup d'autres Péruviens, occupe une seconde profession, la nuit il travaille dans un restaurant du centre-ville. Il nous donne les coordonnées de celui-ci et nous indique où on peut le trouver.
Après cette halte, nous nous dirigeons vers la Plaza Mayor de Cuzco, la place centrale, dans l'intention de visiter la Cathédrale. J'ai toujours été plus impressionné par l'extérieur des églises, par leur côté imposant et leur architecture qu'elle soit gothique ou romane, que par le décor intérieur. Vue de la Plaza de Armas, la Cathédrale de Cuzco est réellement impressionnante. L'intérieur est beau et en bon état, mais le baroque surchargé de dorures, de statues de saints, de christs sanguinolents me laissera toujours perplexe.
Dans un autre genre, nous visitons le Museo Inka, pas très loin de la Plaza Mayor. Le bâtiment espagnol est érigé sur des fondations incas. Le musée de taille relativement grande est un passage obligé, spécialement si on s'intéresse à la civilisation des Incas, qui occupait au XVème siècle, à l'arrivée des Conquistadors, une bonne partie des Andes. On y trouve des collections de bijoux, de poteries, de textiles, des momies également. Dans le patio central de cette ancienne demeure seigneuriale, des artisans habillés en costumes traditionnels tissent, filent et exposent leurs travaux.
Dans le musée, mes deux amies et moi rencontrons trois autres membres du groupe et décidons de nous rendre en taxi au quartier de San Blas, situé un peu plus haut sur le flanc de la montagne. Comme il n'est pas facile de s'asseoir à cinq sur la banquette arrière d'une voiture, je monte avec une amie dans le coffre du taxi. C'est une vue intéressante, comme dans un train, quand on est assis à contre-sens, mais un peu moins confortable. Le quartier de San Blas, très touristique, offre une perspective intéressante sur la ville de Cuzco et nous permet une fois encore d'admirer ses toits de tuiles rouges bombées, un peu à la manière des maisons provençales. C'est également l'occasion de visiter la très belle église -baroque- de San Blas.
L'après-midi est réservée à la découverte de quatre sites archéologiques incas dans les proches alentours de Cuzco : Tambo Machay, Puca Pucara, Qenko et Sacsayhuamán. Un bus nous dépose d'abord à Tambo Machay et nous effectuons la promenade à pied pour nous rendre aux autres sites et revenir enfin sur Cuzco en soirée.
A trois mille sept cent mètres, Tambo Machay, est constitué de petites ruines et notamment d'un "superbe bain cérémonial en pierre ouvragé, baptisé El Baño del Inca. On aperçoit le site voisin de Puca Pucara depuis une petite tour qui se dresse en face." (Lonely Planet). Puca Pucara est un ancien fort dont il ne reste que peu de pierres, et selon la lumière, ses rochers peuvent prendre une couleur rougeâtre, ainsi son nom signifie "Fort Rouge". Quelques kilomètres plus loin, le site de Qenko représente un "énorme rocher de calcaire recouvert de symboles gravés, dont les formes de zigzag lui valent son nom [quenko = zigzag]. On pense qu'il servait à des sacrifices rituels de chicha [bière de maïs fermenté, alcool local rural très populaire] ou peut-être de sang. Des tunnels sont creusés sous les rochers et il existe une mystérieuse grotte dotée d'autels sculptés dans la roche." Nous avons la chance de rencontrer la petite Margot, quatorze ans, dans son survêtement rose, pour en savoir plus sur cette grotte. Car Margot est en effet guide, et très douée d'ailleurs, elle peut tout vous expliquer sur la fonction qu'occupait cette grotte à l'époque inca. Je dois avouer que j'ai complètement oublié ce qu'elle a dit, mais la grotte devait avoir une fonction rituelle importante. J'ai plus été absorbé par la vue de cette jeune fille qui m'a paru si cultivée et si à l'aise dans son métier.
Nous terminons par le site le plus important, Sacsayhuamán, que certains retiennent mieux dans sa "traduction" anglophone, Sexywoman. "Aujourd'hui, le visiteur ne distingue plus que vingt pour-cent de la structure d'origine. Peu après la conquête, les Espagnols détruisirent une grande partie des murs de Sacsayhuamán pour construire leurs maisons à Cuzco. Ils laissèrent les blocs de pierre les plus lourds, dont l'un pèse plus de trois cent tonnes. La plupart forment les principaux remparts. Les Incas avaient donné à Cuzco la forme d'un puma, Sacsayhuamán en représentant la tête. Le site se compose de trois parties différentes, la plus évidente étant formée par les murs en zigzag des principaux remparts. Les vingt-deux zigzags constituant les dents du puma permettaient une défense très efficace, car les attaquants devaient exposer leur flanc pour lancer le moindre assaut (...) il est difficile de déterminer avec précision la fonction que remplissait Sacsayhuamán. La plupart des scientifiques pensent néanmoins que le site jouait un rôle important sur les plans religieux et militaire" (LP).
Même si Sacsayhuamán n'est plus que le vestige d'un glorieux passé, une ruine archéologique, chaque vingt-quatre juin, il reprend vie lors de la fête indienne de l'Inti Raymi ou Fête du Soleil. Cette reconstitution de la fête inca du solstice d'hiver attire des touristes du monde entier. La ville de Cuzco descend dans la rue, et en une longue procession se rend à pied dans les hauteurs à Sacsayhuamán. Il m'aurait plus d'assister à cette fête folklorique et colorée, reflet de traditions vieilles de plusieurs siècles. Ce sera pour la prochaine fois peut-être.
La nuit commence à tomber, nous retournons dans la vallée de Cuzco pour y passer notre troisième nuit.
Au programme de cette journée, visite des marchés de Chinchero et Pisac, deux petits villages situés dans la Vallée Sacrée, au nord de Cuzco.
En chemin, nous nous arrêtons dans un petit village pour prendre avec nous dans le bus un jeune joueur de charango, la petite guitare locale. Il agrémente notre trajet avec ses chants monocordes et sa musique lancinante. Il dispose bien-sûr d'un répertoire de chansons variées, mais il les chante toutes sur le même ton et il semble ne connaître qu'un seul air de musique. Mais son costume folklorique et sa bonne bouille lui donnent un air sympathique.
Dans la partie basse du village de Chinchero s'étale un marché populaire destiné à la fois aux paysans locaux et aux touristes. Ces derniers préfèrent acheter des produits d'artisanat, tissus, vêtements et autres babioles, tandis que les natifs se dirigent plutôt vers les denrées alimentaires et peuvent pratiquer le troc pour se les procurer. Je voulais essayer la chicha, la fameuse bière de maïs, je me dirige donc au fond de la place là où je crois en apercevoir, dans un grand bidon en plastique. Mais sa couleur rose fluorescent et sa mousse me dissuadent de l'essayer ici. Je la prendrai ailleurs.
En montant plus haut dans le village, nous découvrons un autre petit marché sur la Plaza de Armas de Chinchero. C'est là qu'avait lieu il y a encore un ou deux ans le traditionnel marché qui se trouve maintenant au bas de Chinchero. Maintenant il ne reste plus que quelques étals pour les touristes qui montent visiter l'église. Nous avons d'ailleurs perdu au change, car la situation de la Plaza Mayor à plus de 3700 mètres d'altitude, à flanc de montagne, offre un très beau panorama sur les Andes.
Je suis revenu seul à notre autobus et j'ai discuté avec un groupe de plusieurs enfants. Je me suis assis et comme s'ils avaient repéré une proie, ils se sont dirigés vers moi. Ils étaient cinq, et chacun voulait me vendre quelque-chose, une poupée, des gants, un bonnet. Je leur ai expliqué, amusé, que j'étais étudiant et que les dollars ne coulaient pas à flots pour moi. Ils semblaient comprendre, mais cela ne les empêchait pas de continuer à me présenter tout leur matériel, à me proposer de petites ristournes pour essayer de me convaincre. Une sorte de relation duale s'est installée, très ambiguë : une facette commerciale "piège à touristes" assez décontenançante et un côté beaucoup plus humain, plus simple et chaleureux : "Tienes una novia ?" (tu as une copine ?) Pour faire le malin, je répond "si !" "Cómo se llama ?" (comment s'appelle-t-elle ?)... "Tu mama está contigo ?" (ta maman est avec toi ?). Ils peuvent être très durs en affaire, et c'est normal, c'est une façon de survivre et de se protéger. Mais ils n'en restent pas moins des gamins, et comme tous les gosses du monde ils posent les mêmes questions, naïves et drôles.
Mon groupe ne venant pas, j'ai pu passer vingt minutes à discuter avec ces bambins et j'en ai appris un peu sur chacun d'eux. La plus âgée n'était plus vraiment una niña (une enfant) puisqu'elle avait en effet vingt-trois ans et déjà trois muchachos dont le plus âgé, huit ans. Ils ont fini par abandonner leur idée de me vendre quelque-chose lorsque je leur ai promis que j'allais leur donner des crayons de couleur une fois que l'autocar allait ouvrir. Chacun en a finalement reçus plus d'un car il ne fallait pas oublier les frères et soeurs. J'étais content de mon geste en les voyant me faire des grands "coucou" de l'extérieur, une fois assis sur mon siège, mais en même temps un peu triste pour eux. Ce n'est pas un crayon de couleur qui va résoudre les problèmes qu'ils connaissent, ceux que connaissent tous les enfants d'ici qui vivent "à la campagne".
Nous avons ensuite fait route vers Pisac, petit village colonial non loin de Cuzco, où comme à Chinchero un marché a lieu chaque dimanche, qui attire les habitants du coin dans leurs costumes traditionnels, et les touristes, pas du coin, eux aussi très vite reconnaissables. Le village de Pisac est assez grand et le marché s'étale sur la Plaza de Armas et dans plusieurs rues. Il est beaucoup plus touristique, et donc bien moins authentique et charmant que celui de Chinchero. Les stands en bois remplacent les étals à même le sol. La boulangerie du village prépare dans son four à pain un délicieux déjeuner : des petits pains plats typiques de la région, avec à l'intérieur des oignons, des tomates et du fromage. Le tout pour un nuevo sol (environ deux francs)et cuit bien entendu.
Le plus intéressant à Pisac, c'est de visiter les ruines qui surplombent le village. Sur le flanc d'une montagne s'étalent des cultures en terrasses, telles de grandes courbes gracieuses. Des escaliers en pierre au bord du vide nous permettent d'accéder au sommet de la montagne, là où se trouve la forteresse de Pisac, qui encore aujourd'hui comprend plusieurs salles de belle architecture en bon état. La visite dure plusieurs heures et elle en vaut vraiment la peine car la vue à partir du sommet surplombe l'ensemble de la vallée. Mais je déconseille cette étape aux personnes sujettes au vertige.
Le soir à Cuzco, nous sommes allés à la Casa de la cultura (la Maison de la culture) pour assister à un spectacle de danses folkloriques de la région. Un orchestre d'une bonne dizaine de musiciens entonne des rythmes colorés aux accents locaux. Il accompagne les danses de jeunes Péruviennes et Péruviens. La salle est froide et l'on a vite tendance à s'engourdir. Mais la chaleur de la musique et le fait de frapper dans nos mains tous ensemble nous réchauffe très vite.